Entretien Elvire Fabry
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Les enjeux commerciaux de la filière laitière

Mis à jour le 25 juillet 2025

Entretien avec Elvire Fabry, chercheuse senior en Géopolitique du commerce à l’Institut Jacques Delors et rapporteur du groupe de travail sur les relations UE-Chine,

A l'occasion de l’événement organisé par le Cniel le 11 juin dernier : « Géopolitique du lait : l'impact de la nouvelle donne mondiale sur le commerce international de produits laitiers », Elvire Fabry a partagé son regard d’experte sur les mutations du commerce international, les tensions sino-européennes, et les impacts du second mandat de Donald Trump sur la filière laitière française. Une analyse lucide, à la croisée des enjeux économiques, agricoles et diplomatiques.

Accords commerciaux : la filière laitière française au cœur des enjeux stratégiques

Il est primordial d'adopter une perspective sectorielle pour analyser les grands accords internationaux.

« Lorsque j’analyse l’impact d’un accord commercial comme celui signé entre l’UE et le Mercosur, je dois avoir une vue d’ensemble de l’accord en même temps qu’une analyse plus granulaire des intérêts et défis spécifiques d’une filière comme la filière laitière. En l’occurrence pour la France c‘est aussi une filière fortement exportatrice et stratégique pour l’emploi français. »

Face aux tensions commerciales, le dialogue entre expertise et filière est essentiel

À l’heure où la volatilité des marchés extérieurs se fait plus palpable, les échanges entre experts et professionnels du secteur prennent toute leur importance.

« Il est essentiel pour moi de discuter directement avec les acteurs économiques, en l’occurrence les représentants de filière que rassemblent le Cniel, pour évaluer l’impact d’une part de la concurrence intra-européenne et d’autre part de la concurrence extra-européenne dans un contexte où les deux grands marchés d’exportations que sont la Chine et les États-Unis sont moins prometteurs pour la filière. »

La Chine, partenaire incontournable mais de plus en plus contesté

Les tensions sino-européennes ne cessent de s’intensifier. L’UE durcit sa posture, tandis que Pékin adopte une stratégie plus agressive en retour. Ce rapport de force évolutif a des répercussions profondes sur les équilibres commerciaux.

« Les sujets de contentieux s’accumulent entre l’Union européenne et la Chine. Cette dernière continue à soutenir fortement l’économie russe. La consommation chinoise reste atone et pour compenser un marché américain qui se referme, les exportations chinoises doivent garantir leur accès au marché européen. 

Mais les Européens ont déjà entrepris de se protéger contre l’arrivée de surcapacités chinoises et multiplient les enquêtes anti-dumping en même temps qu’ils parlent de conditionner certains investissements chinois en Europe à des transferts de technologie.

La Chine en retour devient plus agressive avec des restrictions aux exportations de minerais critiques et en limitant l’accès à ses marchés publics pour les équipements médicaux européens. 

Les menaces tarifaires de Trump pourraient nous inciter à nous rapprocher de la Chine, mais les Européens doivent veiller à réduire simultanément leurs dépendances excessives vis-à-vis de la Chine et des États-Unis. Cela appelle d’une part, à renforcer l’atout que représente le Marché unique pour s’appuyer plus sur le commerce intra-européen en supprimant plus activement les barrières non tarifaires entre États membres, y compris dans le secteur agricole. Par ailleurs, il faut diversifier nos marchés d’exportation en ratifiant l’accord UE-Mercosur et celui avec l’Indonésie pour lequel un accord politique vient d’être trouvé. »

Une Europe qui doit accélérer et mieux protéger ses secteurs stratégiques

Face à une compétition internationale de plus en plus agressive, les mécanismes internes de solidarité européenne ne sont plus suffisants.

« La concurrence intra-européenne ne suffit pas à stimuler la compétitivité européenne. Il faut plus de mutualisation des capacités d’investissement et de solidarité. Pour accélérer la prise de décision au niveau européen, il faut commencer par passer au vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil. 

À court terme, préserver notre souveraineté alimentaire et les emplois européens va également exiger un soutien particulier aux filières les plus exposées aux hausses de droits de douanes et à la reconfiguration des flux commerciaux. »

Trump II : une menace directe pour les équilibres agricoles européens

Le second mandat de Donald Trump inquiète fortement Bruxelles et les filières exportatrices. La posture américaine, plus idéologique que strictement commerciale, pourrait bouleverser les équilibres du commerce transatlantique.

« Il ne faut pas s’attendre à un apaisement des relations entre l'Union européenne et les États-Unis. Trump II ne vise pas seulement un réajustement de la balance commerciale mais à découdre nos règlementations, qu’il s’agisse du secteur numérique ou des standards sanitaires et phytosanitaires - en d’autres termes à porter atteinte à la souveraineté des Européens. Ce changement de la politique commerciale américaine est plus structurel qu’on ne veut bien le considérer. 

Quels que soient ses allers et retours sur l’application de la hausse tarifaire, elle sera massive car 10% serait déjà très important. Sans mesures européennes de rétorsion Trump continuera durant son mandat à manier l’incertitude et à étendre le champ de sa coercition économique. »