Être une femme en élevage laitier : le vrai du faux
Trop physique, incompatible avec la vie de famille, milieu fermé aux femmes : les idées reçues sur l'élevage laitier ont la vie dure. Pourtant, avec 50 % de départs en retraite d'ici à 2030 et seulement 16 % de femmes chez les éleveurs de moins de 40 ans[1], la filière a tout intérêt à séduire les talents féminins. A l'occasion de la Journée Internationale des femmes rurales, une enquête du Cniel en partenariat avec l’Institut de l’Elevage démêle le vrai du faux. Objectif : identifier des solutions.
La pénibilité physique est la même pour les femmes que pour les hommes ?
FAUX !
Le port de charges lourdes et fractionnées comme les seaux et biberons des veaux, les douleurs aux épaules, bras et genoux liées à la traite répétitive, ou encore la difficulté d'atteler du matériel : autant de contraintes soulignées par la majorité des éleveuses. La difficulté physique supplémentaire ? Le matériel agricole est rarement dimensionné pour des gabarits féminins.
Il est également important de distinguer les types de risques auxquels chacun est exposé : les hommes sont majoritairement confrontés à des risques visibles comme la chaleur, les vibrations ou les nuisances liées à l'utilisation de machines. Les femmes, quant à elles, sont 2,8 fois plus exposées aux troubles musculosquelettiques (TMS), du fait de gestes répétitifs, de postures contraignantes et d’un matériel inadapté à leur morphologie.
Les stéréotypes persistent ?
VRAI !
L'image traditionnelle de l'éleveuse dévouée à sa famille, cantonnée au soin des veaux et aux tâches domestiques, continue d'imprégner le monde agricole. Les éleveuses témoignent que la mécanique et les décisions stratégiques restent perçues comme l'apanage des hommes. Cette vision se transmet dès l'enfance : les filles sont encouragées à aider sur l'intendance, leurs frères responsabilisés sur les tâches mécanisées. Un héritage qui limite leur polyvalence et leur autonomie.
Toutes les tâches de la ferme sont reconnues ?
FAUX !
Préparer les repas pour l'équipe lors des chantiers, gérer l'intendance de la ferme, organiser la vie familiale : ces tâches domestiques, pourtant nécessaires au bon fonctionnement de l'exploitation, ne sont pas toujours reconnues comme du travail à part entière. Conséquence directe : certains collègues masculins perçoivent les éleveuses comme moins investies professionnellement. Pour éviter ces inégalités, certaines exploitations ont changé leur organisation : chaque membre du collectif prend désormais en charge ses propres tâches domestiques, une approche qui favorise l'égalité.
L’élevage, c’est pratique pour la vie de famille ?
VRAI... et FAUX !
Les astreintes quotidiennes, l'impossibilité de déléguer facilement, le manque de souplesse : l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle représente un enjeu majeur pour toutes les éleveuses interrogées, particulièrement lorsqu'elles sont mères. Certaines jugent la couverture sociale insuffisante, notamment pour les mi-temps thérapeutiques et les grossesses compliquées.
Pour autant, certaines éleveuses considèrent ce fort enchevêtrement entre vie professionnelle et vie familiale comme un choix pleinement assumé, faisant partie intégrante de leur projet de vie. Mais ce modèle, même s’il a du sens pour elles, n’est pas sans difficultés : charge mentale accrue, peu de temps de répit ...
Les éleveuses sont toutes les mêmes ?
FAUX !
Face aux défis du métier, les femmes développent des stratégies très différentes selon leur situation et leurs aspirations. L'étude révèle ainsi quatre profils distincts selon leur manière d’articuler travail et vie personnelle.
Cheffes d’exploitation dans la filière laitière : qui sont-elles ?
Les jeunes femmes ne s'intéressent pas à l'élevage laitier ?
FAUX !
Les étudiantes en BTS agricole ont une vision précise de leur avenir professionnel : des fermes autonomes, diversifiées, avec des systèmes à l'herbe. Elles souhaitent majoritairement s'associer pour partager les responsabilités. Elles apprécient la filière bovin lait pour la diversité des activités quotidiennes et la relation individualisée aux animaux. La motivation est là, les projets aussi.
En stage, garçons et filles sont traités de la même façon ?
FAUX !
Dès les stages, les étudiantes font face à la présomption d'incompétence : refus d'accès à certaines tâches comme la conduite du matériel, remarques discréditantes, obligation de redoubler d'efforts pour faire leurs preuves, parfois au détriment de leur santé physique et mentale. La grande majorité d’entre elles rapporte également un climat de violences sexistes et sexuelles : allusions déplacées, propositions indécentes, sentiment d'insécurité. Des expériences éprouvantes qui peuvent les décourager ou les pousser à abandonner leurs projets agricoles.
On ne peut rien y faire ?
FAUX !
Des solutions existent pour améliorer la situation. L'autonomie décisionnelle et une gouvernance égalitaire sont des leviers essentiels. Concrètement, tous les associés doivent participer aux décisions stratégiques de l'exploitation, ce qui permet de redéfinir régulièrement les rôles, et ce, sans assignation genrée des tâches.
D'autres pistes d'amélioration émergent : adapter le matériel aux différents gabarits, organiser les réunions professionnelles durant les heures scolaires pour faciliter la participation des éleveuses, assurer la parité dans les conseils d'administration. Enfin, une réponse collective et institutionnelle forte est nécessaire pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, garantissant un environnement de travail sain et sécurisant pour les jeunes femmes.
Sources :
Enquête réalisée en 2024 auprès de 17 cheffes d'exploitation en élevage bovins lait et 32 étudiantes en BTS agricole dans 4 régions françaises. (Cniel, l'Institut de l'Élevage et le GIS Avenir Élevages)
[1] CNE, 2023