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Du skate à la ferme : comment le cinéma bouscule les clichés sur l’élevage

Mis à jour le 27 juin 2025

Quand un adolescent trouve refuge dans le skate au cœur d'une ferme laitière, les mondes se rencontrent. Le film "Ollie" d'Antoine Besse offre un regard juste sur l'élevage et le monde rural. Une vision que le Cniel a choisi de soutenir à l’occasion des Journées Nationales de l’Agriculture et de la Journée Mondiale du Lait. 

Un partenariat logique

Le film raconte l'histoire d'un garçon de 13 ans qui perd sa mère. Son père, éleveur laitier peine à communiquer avec lui. C'est Bertrand, un saisonnier marginal embauché sur la ferme et ancien professionnel du skate, qui va permettre à l'adolescent de faire son deuil à travers la pratique de ce sport urbain. Une rencontre improbable dans le décor d'une ferme laitière. 

Pour Antoine Besse, le réalisateur, cette connexion entre deux univers, apparemment opposés, n'a rien d'artificiel : « J'ai grandi à la campagne. Dans les années 2000, nous étions passionnés de culture urbaine, en particulier de skate et de rap. On n'avait pas le choix que de se les approprier. Ces deux mondes m'habitent autant l’un que l’autre. »

Déjà, il y a 10 ans, son premier court-métrage montrait des skateurs en milieu rural, entre fiction et documentaire. Son titre : Le Skate Moderne, inspiré de La Vie moderne de Raymond Depardon : « Les citadins n’ont pas toujours compris le second degré sur les costumes. Ça a fait le buzz, illustrant bien que les deux mondes ne se connaissaient pas vraiment, ne communiquaient pas. Or, moi, je prouve l'inverse : les deux mondes peuvent se connecter, se découvrir, il faut juste trouver les connexions, les ponts. »

Coulisses du film OLLIE
Coulisses du film OLLIE

La « vraie vie » à la ferme

C'est chez Vincent Danede, éleveur laitier en Dordogne, que le tournage s'est déroulé. Une expérience qui a bouleversé les idées reçues de l'équipe. « Je n'avais pas réalisé que les éleveurs et agriculteurs étaient à la pointe de la technologie, bien plus que les citadins, confie Antoine Besse, dont la vie est désormais bien ancrée dans la capitale. Les tracteurs, aujourd’hui, font des virages millimétrés et coûtent plus qu'une maison, bien loin des tracteurs à l’image pittoresque que j’avais tendance à chercher pour le plaisir de l’image… » Vincent Danede confirme cette modernité assumée : « Aujourd'hui, nous vivons avec notre temps. Traites robotisées, GPS... Les nouvelles technologies sont partout dans notre quotidien ! C’est une manière de rendre le métier plus attrayant. » 

Vincent regrette l'image véhiculée habituellement de son métier : « D’habitude, pour parler de l’agriculture ou de l’élevage, le cinéma en fait trop ou pas assez : il donne une image misérabiliste, qui repousse, ou trop idéalisée, celle du monde de nos grands-parents. Mais heureusement, les choses sont en train de changer. Grâce aux réseaux sociaux, les jeunes générations réussissent à véhiculer une image vraie de nos fermes, ce sont les personnes sur le terrain qui donnent à voir la réalité. Et les représentations évoluent... » 

Autre réalité, souvent méconnue : la vie et les emplois autour des agriculteurs eux-mêmes : techniciens, transformateurs, experts, vétérinaires… Pour 1 exploitant agricole, on estime que 7 personnes travaillent autour de lui. Un écosystème complet qui mérite d'être mieux compris et valorisé, tout comme les conditions de travail. 

OLLIE conférence JNA

L'immersion comme révélateur

Toute l’équipe du film a passé plusieurs semaines sur la ferme de Vincent. Une immersion essentielle pour Antoine Besse : « Il faut voir le film en partie comme un documentaire, c’est un véritable petit bout de vie. Le contact avec la réalité était important. »

Pour l’acteur Cédric Kahn, qui incarne le père dans le film, cette expérience a été une véritable découverte. « Même si je viens de la campagne à la base, je vis à Paris depuis 40 ans ! Je craignais de ne pas être crédible comme agriculteur. » Des doutes rapidement levés : « Quand on est arrivé à la ferme, j'ai posé beaucoup de questions, Vincent m’a montré son métier… et j’ai adoré apprendre à conduire le tracteur », sourit-il.

Mais au-delà des gestes techniques, c'est la réalité économique du métier qui l'a marqué : « J’ai découvert la problématique économique du secteur, à travers le rôle du père qui subit les cours du lait - des fluctuations qu'il ne maîtrise pas du tout. J'ai été touché par cette problématique qui participe au climat autour de l'enfant, un climat d’inquiétude et d’incertitude pour l'avenir. »

Du côté de Vincent Danede, accueillir une quarantaine de personnes pendant plusieurs semaines représentait un défi. « J'avais peur du stress pour les vaches, confie-t-il. Mais l'expérience s'est révélée positive : elles étaient tranquilles. Je peux même dire que les vaches ont mieux vécu le tournage que moi ! », plaisante l'éleveur un peu déstabilisé dans son quotidien.

Au final, cette expérience a aussi permis de révéler des similitudes inattendues entre le monde du cinéma indépendant et celui de l'agriculture : « Sur un plateau de cinéma indépendant comme dans une exploitation agricole, les journées sont longues et rythmées par des impératifs non négociables - qu'il s'agisse de la lumière pour tourner ou de la traite pour les vaches, constate le réalisateur. Chacun met la main à la pâte, il y a beaucoup de débrouille et de solidarité… »

Trailer du film OLLIE
Trailer du film OLLIE

L'hybridation, le concept d’avenir

Cette rencontre entre mondes différents illustre parfaitement le concept d'hybridation développé par la philosophe Gabrielle Halpern. « L'hybridation, c'est créer des ponts, des mariages improbables entre des choses, des métiers, des arts, des secteurs très différents, voire, qui peuvent sembler contradictoires, mais qui, ensemble, créent quelque chose de nouveau », explique-t-elle.

Pour elle, cette tendance décloisonnée représente « le monde qui vient ». Elle cite l'exemple des fermes qui endossent des rôles supplémentaires à celui de la production : vente, transformation, ou même, lieux de rencontre. Excellent exemple du phénomène, le film Ollie, avec son mélange skate-agriculture, « vient donner à voir une autre image de l'agriculture de manière originale. C'est une pédagogie différente. » 

Et cela va dans le bon sens pour Gabrielle Halpern qui plaide pour davantage de découverte mutuelle : « Il y a urgence à réconcilier les mondes, en particulier l’agriculture et le reste de la société ! C’est fondamental, car l'agriculture, c’est bien plus qu’un secteur économique. C’est le rapport au corps, à l'effort, à la terre, à l'Autre, à l'imprévisible... Il y a toute la vie dans l'agriculture ! » La philosophe milite ainsi pour des stages obligatoires dans une exploitation agricole pour les jeunes, mais aussi pour les hauts-fonctionnaires : « Tout le monde doit être en mesure de comprendre ces métiers ! »

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Un pari sur le dialogue entre les mondes

Toute la démarche de promotion du film témoigne concrètement de cette volonté de créer des liens. « On fait un tour de France avec 40 dates. Dans chaque ville, on organise un événement de skate et une soirée, avant et après la projection. L'idée principale, c'est le partage, insiste Antoine Besse, une approche résolument humaine. » 

Pour Vincent Danede, le résultat est sans appel : « J'ai pris une claque en voyant le film, notamment par la performance des acteurs. C'est vraiment à voir. » Un témoignage qui confirme la justesse du regard porté sur son métier.

En choisissant de soutenir Ollie, le Cniel fait ainsi le pari que le cinéma peut contribuer à changer les regards sur l'élevage laitier. Un pari sur l'avenir, sur la jeunesse, et sur la capacité des mondes à se rencontrer quand on leur en donne l'occasion. Car, comme le souligne Gabrielle Halpern, « changer le monde commence par son assiette » - et par la façon dont on raconte ceux qui la remplissent.

 

Cet article est tiré d'une table ronde organisée par le Cniel lors des Journées Nationales de l'Agriculture, le 6 juin 2025, à Paris.